Yves Bonnefoy, Ensemble encore

Yves Bonnefoy, Ensemble encore, Suivi de Perambulans in noctem, Mercure de France, avril 2016, 140 p., 14,80 euros

 

Yves Bonnefoy vient de mourir. Il avait 93 ans. Il avait publié au printemps un dernier recueil : Ensemble encore. Il y poursuit une méditation sur le lieu où se tient chaque existence qui a entendu l'appel de l'Etranger et se sait dès lors en chemin : chemin nocturne, comme l'indique le titre de la seconde partie du recueil, mais traversé d'éclats, chemin du retour à l'enfance, à l'origine, comme l'indiquent encore aussi bien l'emploi de la langue latine, que l'évocation de « la maison du très lointain autrefois », celle des grands-parents, dans le Lot, qu'il a été donné au poète de revoir. Cette méditation sur le lieu de l'existence qui s'ouvre avec le premier recueil, Du mouvement et de l'immobilité de Douve, revient encore une fois et désormais comme pour toujours sur cette conjonction du rêve et de la réalité qui constitue notre séjour authentique. Ensemble encore s'ouvre sur l'évocation d'une salle, un lieu de l'esprit comme du coeur qui n'est peut-être pas moins réel ou moins irréel que celui où se tiennent les corps, un lieu où les contradictions semblent se dissoudre pour dévoiler une autre modalité d'être qui trame intimement présence et absence, vie et mort. Que l'amour et le désir soient les causes efficientes qui permettent d'entrer de nouveau dans ce lieu d'où nous fûmes chassés - salle ici mais aussi chambre ou jardin - n'étonnera pas le lecteur de Bonnefoy ou simplement le lecteur de poésie :

 

C'est bizarre, je ne vous reconnais pas.

Tant il fait nuit je ne vois plus votre visage

En dépit dans vos yeux de cette lumière

De diverses couleurs si loin là-bas.

Je comprends que vous tous, vous n'êtes plus

Auprès de moi qu'une seule présence,

À qui tendre la coupe, je ne sais

Ni ne le veux, je la pose, un instant.

Apercevant vos mains,

Je les touche des miennes, c'est suffisance.

 

Car c'est vrai que rien n'est réel, de cette salle

Où nous sommes ensemble, vous et nous.

A-t-elle des cloisons, elles s'effacent

Dès que je m'en approche. Je ne sais

Si c'est dedans, dehors, cette nuit claire,

Je prends la coupe, je l'élève, elle n'est plus.

 

Et que contenait-elle, ai-je su jamais,

Cela semblait réel, ce l'était peut-être,

Disons, ce fut un vin

Que nous avions désir de boire ensemble [...]

 
 
à consulter : outre le blog de Michel Maulpoix, celui de Stphane Peltier : http://stephanepeltier.com/blog/?p=467

revue NU(e), Christian Hubin

NU(e), Christian Hubin

numéro coordonné par Éric Dazzan

automne 2013,
16x24, 176 p

Bon de souscription : avant le 1/ 09/ 13

Prix souscription : 17 € (frais de port : 3 €)

Prix hors-souscription : 19 € (frais de port : 4 €)

règlement au nom de l'association NU, 29, avenue Primerose, 06 000 NICE

Sommaire

Christian Hubin-Eric Dazzan : Entretien
Gilles du Bouchet, Avec (éd. Trames, 2006)
Christian Hubin
Notes.
Hommages/ Lectures
Yves Bonnefoy, La promenade en forêt.
Gaston Puel, Greffes.
Jacques Garelli, Poèmes.
Bernard Noël, Neumes.
Valère Novarina, Observez les logaèdres !
Esther Tellermann, Dans le liminal.
Yves Leclair, Lettre in extremis
Gérard Martin, Météores.
Claude Faivre, La fontaine noire (éd. Thierry Bouchard, 1984)
Christian Hubin
Sans titre.
Lettres à Christian Hubin
Etudes
Michael Bishop, Christian Hubin : une musique criblée de stupeur : Neunes.
Philippe Grosos, Le langage sidéré :signifiance et signification dans la poésie de Christian Hubin.
Jacques Ancet, L’illisible (cinq lectures de Christian Hubin).
Regis Lefort, Christian Hubin, articulations.
Pierre Romnée, In firmus Hubin.
François Lallier, La musique ultime.
Richard Blin, Un poète de l'inconnaissance.
Clément Layet, Schicksalsweise.
Eric Dazzan, Christian Hubin : écrire la scission.
Bibliographie

 

Pierre Dhainaut, Rudiments de lumière, Arfuyen, 2013, 128 p., 11,5 €

Le nouveau livre de Pierre Dhainaut pourrait se lire comme une tentative d'approche phénoménologique, inachevée, inachevable, de ce qui est sans phonoménalité et en marque l'extinction. Son titre nous indique que cette quête de l'horizon mortel aboutit moins à un savoir – toujours rudimentaire et provisoire – qu'à la conscience d'un dénuement définitif qu'éclaire, de loin en loin, la lumière portée d'un poème. Mais si le savoir manque et si le savoir de ce manque est peut-être le seul savoir qui vaille, le monde phénoménal dont il faudra bien s'absenter, ce monde nous est donné, jusqu'au bout, jusqu'au franchissement du seuil, dans toute la générosité de sa présence et il répond, sans faille, à notre attention, à notre écoute et à notre amour. L'enfant, comme dans les recueils précédents, incarne pleinement cette générosité du vivant, cette insouciance au mouvement de laquelle il s'agit de dire oui jusqu'au bout, faisant de ce mot celui de la fin, c'est-à-dire peut-être d'un commencement inépuisable. Les textes en prose qui accompagnent les poèmes et ferment l'ouvrage méditent sur cet acquiescement au monde dont l'écriture est à la fois le prolongement et l'accomplissement.

 

[…] Pourtant tu seras
debout le premier, tu ouvriras sans retard la fenêtre.
Au bon moment, spontanément le geste s'accomplit,
qui se consacre à l'aube : ce qui recommence avec elle,
ce qu'elle affirme, il ne peut y avoir de jour ultime.
Témoigne, par ta louange, à chaque instant de l'instant,
qui arrive, tu ne distingues pas comme pour un poème
l'inconnu du silence, ils sont solidaires,
ils se renouvellent. Que ta nuque s'incline,
que tu dresses la tête, le sens intact de la surprise,
de la candeur, tu ne fais aucun bruit :
des vitres flamboyantes, une étoile entre les nuages,
des arbres toujours prêts, les branches nues, celles déjà
qui se couvrent de feuilles, à osciller d'un souffle,
à le multiplier, non, ce n'est pas de ta mémoire seule
que des enfants surgissent, qui jouent dans la rue,
sur la plage immense, partir et revenir et repartir,
ils agrandissent l'arche, aujourd'hui, autrefois,
tu verrais une différence, ce sera par fatigue,
d'un, coeur opaque. Tu as leur vocation, te livrer,
adhérer, les noms aimés plus puissants que tes rêves
prennent chair, s'illuminent au présent de l'haleine.

 

Gaston Puel, "42 sirventès pour Jean-Paul"

Le titre du dernier recueil de Gaston Puel (Centre Joë Bousquet et son temps, 207 p., 15€) l'inscrit dans la filiation de la poésie courtoise. Il nous indique également que la poésie est reconnaissance et fidélité, servante desservant la grande cène où la vie convoque sans relâche les existants. Chacun des livres où ces poèmes ont d'abord édités par Jean-Paul Martin aux éditions Rivières a été un moment privilégié de cette célébration du monde où la voix du poète et le regard des peintres ont croisé et échangé leurs harmoniques respectives. Le beau livre que nous donne à lire le Centre Joë Bousquet et son temps doit être lu dans cette perspective :

Quand tu t'obstines à fermer les paupières rien ne rappelle ce que fut ta présence, sa souveraine clarté, sa rieuse assurance, tu t'absentes sans doute, scellant le jour à la nuit des aveugles. Oui, tu riais, nous habitions le bonheur minutieux, invisible, qui berçait nos journées. Si tu ris aujourd'hui c'est sans gaieté, sans mobile, si tu parles c'est sans raison, sans emploi, tu te noies dans un rêve obscur où rien ne saurait te secourir. Nous étions si proches, réunis dans la minuscule fêlure du présent et maintenant face à face à des années-lumière l'un de l'autre alors que dans mon pitoyable espace pointent quelques lueurs d'anciens bijoux, épaves se heurtant dans ma funèbre mémoire, où tintent les couverts des repas qu'enfant alité j'entendais comme la sonate d'un bonheur familial dont j'étais exclu et qui, s'amplifiant avec le soutien des conversations de la tablée, s'étiolait dans ma chambre en une puérile complainte abolissant le proche et le lointain, m'invitant à fermer les paupières en ravalant mes larmes. 

Les Éd. Rivières : http://leseditionsderivieresoulaprespab.midiblogs.com/
Le Centre Joë Bousquet et son temps : http://cjbousquet.canalblog.com/

André du Bouchet, "Un mot : ce n'est pas le sens", VVV Éditions, 2013, 100 p., 15€

Deux des trois inédits que nous proposent les éditions  VVV (97 Golf Links Drive, Halifax, Novia Scotia B3H 1E4) pourraient être regardés comme des essais. Le troisième est un ensemble de lettres d'Émily Dickinson à T. W. Higginson traduites par André du Bouchet. Ces traductions nous sont présentées dans l'ordre dans lequel le traducteur les a réalisées, non pas chronologiquement mais relativement à ce qu'il cherchait, probablement, à y entendre. Et effectivement elles entrent ponctuellement en résonance avec le premier essai qui donne son titre à l'ensemble. Ainsi, par exemple, cette formule d'Émily Dickinson qui remercie son interlocuteur de lui avoir adressé un  hymne, qu'elle juge prophétique - son père vient de mourir - et elle ajoute étrangement : "Il a assisté cette pause d'espace que j'appelle "Père"". Le chemin de réflexion que dessinent les deux essais qui précèdent ces lettres se donne bien pour horizon la question du sens, de son rapport au nom, à l'acte de nommer, d'inscrire et de tracer le mot sur la page blanche, moins pour la combler de présence que pour y faire pressentir, deviner le support de toute vision, de toute possibilité de sens. Les essais de du Bouchet - mais cette désignation générique ne convient probablement pas pour désigner un travail d'écriture qui se porte aux limites et dont l'objet est probablement la limite, l'au-delà, l'intervalle, le point de rupture et d'effacement - ces essais oeuvrent à même l'énigme du sens, dans la matière langage qui le conduit et ils le font en avivant les connivences de l'écriture avec la peinture, le tracé du dessin. Ils invitent le lecteur à une sorte d'aventure phénoménologique et requièrent pour faire sens la participation. L'ensemble des fragments est un formidable dispositif d'amplification de l'expérience la plus intime et la plus mêlée à l'évidence-monde, celle du face-à-face, de notre face que recouvre dans l'ouverture du regard l'afflux en images d'un monde qui nous fait face. L'on pourrait bien sûr songer à Bergson, à Merleau-Ponty :

visage sans lequel je ne pourrais avoir pressentiment de
mes yeux soustraits à ma vue lorsque je vois :
comme ajour  -  les deux n'en faisant qu'un  -
dans la face du support que moi également je suis.
         support qui n'est part du support, comme
une fraction illimitée du temps

 

Bertand Degott, "More à Venise" suivi de "Petit testament"

Le jeu de mots qui donne son titre au dernier recueil de Bertrand Degott (La table ronde, 108 p., 14 €) est bien sûr à prendre à la lettre et dans tous les sens : jaloux de sa mélancolie, s'enfonçant avec toujours plus de  délectation dans les reflets infinis de son chagrin d'être, le poète y poursuit son chemin d'amitiés et de poésie, se joue des formes dans /par lesquelles il convoque le monde et ses fantômes tristes et souriants. On pourrait songer à le lire à Lafforgue. Il suffit d'écouter et d'accorder son attention à cette musique légère pour que ce qui se montre s'éclaire de nouveau et avec lui le coeur :

On a parlé de solitude sous les arbres

     de solitude et d'abandon

 c'est la vie qui s'en mêle en nous ôtant ce dont

    on jouirait bien encore, c'est drôle

 

que la vie justement nous dépouille au printemps

    comme il arrive aux fleurs des saules

 il tombe on dirait de la neige, à tes épaules

    on dirait de la neige autant [...]